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dimanche 28 septembre 2014

Le cinéma muet : l'histoire de salles très bruyantes

Par Alabama

Mes chères licornes, aujourd'hui, nous allons nous attaquer à un sujet de l'histoire moderne : le cinéma muet. « Quoiiii ? » me direz-vous « Va-t'en, c'est pas toi la pro du cinéma, nous on veut LaManie ! » Ne me frappez pas tout de suite : je vais plus parler de l'expérience ldu spectateur face à la grande toile muette que des techniques des réalisateurs en soi. Même si je vais en parler. Un peu. Quand même. 

Les Lumières sur la Ville. C'est beau comme je vous explique pas. 

Lorsque l'on dit cinéma muet, on s'imagine souvent du noir et blanc qui bouge, un fond de piano pour mettre un peu d'ambiance. C'est ce à quoi vous pouviez parfois assister. Oui mais. Le cinéma muet était en réalité beaucoup plus bruyant que ça. A tel point que je vais utiliser l'expression d'un grand monsieur, j'ai nommé Michel Chion, qui décide d'utiliser un nouveau terme pour désigner la chose : le cinéma sourd. Un cinéma qui parle, mais pas par la voix directe. Je m'explique. 

D'abord, qu'entendait-on dans la salle de cinéma ? 

Comme vous le savez certainement, presque tous les films étaient accompagnés d'une musique jouée en direct. Cependant, il était assez rare que la musique soit originale, c'est-à-dire composée spécialement pour le film. Même lorsqu'il y en avait une, elle n'était pas systématiquement interprétée à chaque séance : on la jouait à la sortie de l'oeuvre, pendant les premières et dans les grandes salles. Les plus petites n'en avaient pas forcément les moyens. Et quand je dis musique originale, faut-il encore distinguer les compositions intégralement neuves (que puis-je vous citer comme exemple... celle de Metropolis, 1927, de Fritz Lang, composée par Gottfried Huppertz - oui, j'avoue, j'ai été voir sur Wikipédia comment ça s'écrivait) des musiques propres aux films, mais regroupant différents morceaux piochés entre originaux et classiques (comme dans La Naissance d'une Nation de D.W. Griffith, 1915). 

Sans musique originale, les musiciens des cinémas faisaient un pot-pourri de ce qu'ils connaissaient entre chansons populaires et morceaux classiques, arrangés selon les scènes. Une certaine liberté pouvait être laissée aux musiciens ou, lorsqu'il y en avait, au chef d'orchestre quant à l'arrangement musical. Car oui, l'interprétation, selon les salles, variait de la présence d'un orchestre entier à celle d'un pianiste seul. Parfois, la musique allait même jusqu'à reproduire celle supposée jouée dans le film lui-même, indiquée par la présence d'instruments ou de scènes de fêtes ; ces tentatives étaient parfois ridicules, même pour le public de l'époque, qui pourtant était souple sur la question du fossé entre son supposé et son réellement entendu. Car bon, il faut bien avouer qu'un piano seul tentant d'imiter un concert de chambre, ça ne peut pas fonctionner. 

Tout ça pour vous dire que déjà, la musique, c'était assez aléatoire et bordélique. Tu la sens venir de loin, la BO de Tarantino que tu écoutes sur YouTube, mh ? Mais de ça, aujourd'hui, on a un peu près conscience. Ce qui est beaucoup moins évident, c'est la présence de bruitages produits plus ou moins simultanément avec le film. C'était parfois la tâche des musiciens, notamment des percussionnistes, mais le plus souvent celle de bruiteurs professionnels, appelés bruitistes. Ils reproduisaient l'effet d'une porte qui claque, d'un coup de feu, du vent. Pour la pluie, le bruitiste utilisait des pois secs dans un cylindre. Des noix de coco coupées en deux imitaient les sabots d'un cheval. Cette pratique n'avait rien de novateur : elle était déjà connue au théâtre depuis un petit bout de temps. 

Le cinéma Omnia. 
Ce dont il faut se rendre compte, c'est que le cinéma, au début du siècle, était un spectacle autant sur la toile que dans les coulisses. Aujourd'hui, que vous alliez au petit cinéma de votre quartier ou au grand MK2, le film ne changera pas des masses. Vous serez peut-être mieux assis, vous bénéficierez de la VOSTFR. A l'époque du cinéma sourd (Michel Chion, sortez de ce corps !), d'une salle à une autre, vous ne ressentiez pas le film de la même façon. Mais alors pas du tout. Jacques Prévert (Rainbowl, je veux une boîte de Tic Tac avoir cité ton Dieu dans un de mes articles) se souvient d'un bruitiste de la salle Omnia, futur Cinéma du Panthéon : « Derrière l'écran, il y avait un homme qui faisait tous les bruits avec un petit attirail qui n'avait l'air de rien : des grelots, des papiers de verre, un sifflet, un revolver, des marteaux ; et c'était l'orage, le vent et la mer ou le chant des oiseaux. Tout cela marchait en même temps que le piano. »

Mais ce n'est pas tout ! (Dans ma tête, cette phrase était vachement mieux.) Vous avez déjà entendu parler des machines à bruits ? Ouais, moi non plus avant de bosser sur cet article. A partir de 1908, la société Pathé (vous savez, le truc jaune avec un point d'exclamation derrière) proposait des machines à bruits. Et ça coûtait une blinde : 450 francs d'après le catalogue de 1909, nous dit Martin Barnier dans son ouvrage Bruits, cris, musiques de films. C'était un meuble en chêne dont la face avant comportait des boutons, des manivelles et des soufflets, avec de petites étiquettes en émail indiquant le son produit. Rapidement, cette machine s'est améliorée : en 1913, elle se perfectionnait et pouvait être manipulée depuis la cabine de projection. Le problème, c'est que les bruits n'étaient pas toujours très convaincants. Beaucoup de spectateurs les trouvent inutiles, voire risibles lorsqu'ils manquaient de réalisme. Dans les années 1910, le cinéma évolue et la musique se charge d'évoquer, de manière plus subtile et métaphorique, ce que les bruitages voulaient exprimer. Après la Première Guerre mondiale, la profession de bruitiste disparaît en France.

Et pour expliquer le film et son histoire, ça se passait comment ? 

Déjà, il faut parler des intertitres, ces espèces de panneaux qu'on intercale par le montage entre les plans du film pour présenter un texte, que ce soit une indication sur l'histoire (« Trois mois après ») ou une réplique. Cette pratique a été précédée d'un métier qui a rapidement disparu : les bonimenteurs, ces hommes qui commentaient le film en direct en donnant les précisions nécessaires à sa compréhension. En gros, y'avait un mec qui parlait pour t'expliquer le pourquoi du comment. Le truc pas chiant du tout. Bon, le texte leur était quand même fourni, hein, faut pas abuser. Si les intertitres les ont rapidement remplacés en Occident, ça n'a pas du tout été le cas au Japon. Les bonimenteurs y étaient appelés benshi. Leur rôle était beaucoup plus important que chez nous : ils avaient une plus grande liberté, et pouvaient aller jusqu'à inventer le texte et jouer les répliques des différents personnages. Certains benshi bénéficiaient d'une grande popularité auprès du public. Petite anecdote déprimante pour la route : le frère aîné du réalisateur Akira Kurosawa (qui a par exemple fait Les Sept Samouraïs) était benshi, et s'est suicidé lorsque le cinéma parlant a fait disparaître son travail. 

Après cette note joyeuse, évoquons rapidement la querelle des intertitres (expression de Jacques Brunius), qui, pour moi, est très représentative de la problématique du cinéma sourd. Il y a eu deux grands partis parmi les cinéastes : ceux qui les trouvaient utiles, un peu à la « C'est grave pratique, pourquoi on s'en priverait ? » et ceux qui pensaient que les intertitres ramenaient le cinéma sous la tutelle de la littérature, comme si, soudainement, l'image ne pouvait plus suffire et que le cinéma ne pouvait pas être un art en soi. Dur. Ainsi, des réalisateurs tels que Murnau (Le Dernier des Hommes, 1924) ou Lupu Pick (La Nuit de la Saint-Sylvestre, 1924 aussi) ont fait des films sans aucun intertitre. Jacques Brunius soulève deux problèmes à cette décision : premièrement, la non-nécessité d'intertitres se fait au prix d'une simplification scénaristique ; secondement, le cinéma se crée un nouveau tyran, qui vient remplacer les mots, qui n'est autre que la pantomime. Enfin, il souligne qu'une image montrant un calendrier s'effeuillant pour symboliser le temps qui passe ne vaut franchement pas mieux qu'un intertitre l'expliquant. Bon, tout ça prête au débat, mais symbolise bien le problème de la définition du cinéma, à l'époque : le cinéma ne serait-il cinéma qu'à la condition de n'utiliser que des images mouvantes ? Et donc, l'apparition de la parole détruit-elle le cinéma ou vient-elle l'accomplir ? La réponse est pour nous évidente. Mais lorsque Le Chanteur de Jazz (signé Alan Crosland), considéré comme le premier film parlant de l'Histoire (même si la plupart des scènes reste muette), sort en 1927, ces questions sont venues se poser. En parlant du Chanteur de Jazz, je vous invite à aller voir ce petit extrait. C'est absolument magique, quand on perçoit la révolution que ça a été.

Une certaine LaManie viendrait me reprocher de ne pas parler des intertitres recherchés pour s'intégrer à l'esthétique du film. Quelques mots, donc, prenant pour exemple le monument intersidéral du cinéma qu'est Metropolis de Fritz Lang (1927 ; si vous avez fait attention aux dates que je donne, vous avez pu remarquer que l'évolution des moyens d'exprimer la parole et le son au cinéma a été extrêmement rapide). Je n'ai qu'à vous montrer cela pour que vous compreniez ce dont je veux parler : 


En jouant sur la taille des lettres et la façon de les disposer, Lang intègre ses intertitres à son film et à son atmosphère pour qu'ils deviennent une partie complète de son esthétique. Ouaip, c'est fortiche. (Ah, et pour l'info, un moloch, c'est une ancienne divinité qui réclamait des sacrifices humains, à mettre en rapport avec le fait que le protagoniste découvre ici les ouvriers de la ville de Metropolis et assiste à l'explosion d'une machine.) 

Mais les images elles-mêmes, elles ne pouvaient pas évoquer les sons ? 

Bien sûr que si ! Je serai très brève sur ce point, tout simplement parce qu'il est très simple de comprendre cela à partir du moment où l'on a déjà vu un film muet. Les personnages ont bel et bien des conversations : leur jeu suffit à nous les faire comprendre. Ce procédé est assez génial, puisqu'il permet une grande imagination de la part du spectateur (et prévient tout risque de dialogue pourri, aussi. Passons.) La séquence de l'appel à l'aide au téléphone des deux sœurs dans L'Invisible Ennemi (à regarder ici, merci Wikipédia) de D.W. Griffith (1912) est très parlant (ah ah ah ! Riez à mes jeux de mots, bande de lecteurs).  

Les réalisateurs n'hésitent pas non plus à montrer la source du son en question pour l'évoquer : un insert (comprenez un gros plan) sur un instrument de musique ou autre, et le tour est joué (à condition d'avoir un joli montage avec). Mais regardez plutôt cet extrait de Cœur Fidèle (Jean Epstein, 1923) Vous l'entendez, le vacarme de la fête foraine ? Un autre moyen d'exprimer un bruit, c'est de faire réagir un objet ou une personne à l'écran : une table qui tremble, un vase qui tombe, une personne qui sursaute. L'image seule peut donc suggérer le son. 


J'espère avoir réussi à illustrer pourquoi Michel Chion préfère parler de cinéma sourd plutôt que de cinéma muet. La problématique de l'évolution du cinéma n'est toujours pas vraiment achevée. Mais ça, ce sera pour un prochain article ! Pour aller plus loin, n'hésitez pas à lire l'ouvrage de Michel Chion, Un art sonore, le cinéma, collection Cinéma Essais, Cahiers du Cinéma, Paris, 2003 (ou à l'emprunter à votre BU, comme moi. Il coûte quand même quarante euros, ce qui fait un petit investissement.) 



2 commentaires:

  1. (J'ai envie de faire ma connasse un peu attends).
    Ouais enfin ça vaut pas une explosion avec Nicolas Cage dedans hun! Parce que bon, voilà!
    Non en vrai c'était cool comme article. Constructif bonjour.

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  2. Tu sais quoi Alabama ?
    J'ai montré l'extrait du Jazz singer à mes élèves l'an dernier après avoir vu Singing in the rain avec eux au ciné.
    T'es pas fière de moi, hm ?

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