Par LordPouic
Représentation divine de la beauté sur Terre |
Remontons un peu dans
le temps, à une époque où Internet, smartphone et minitel n’existaient pas
encore, une époque où les seuls moyens de voir un film étaient d'aller au
cinéma ou de passer dans le Vidéo Futur le plus proche pour louer une superbe
cassette. A cette époque, la critique cinématographique était réservée à un
public d'initiés ; il fallait lire des magazines spécialisés pour
connaître les dernières sorties, et si vous étiez, comme moi, amateur de films
de genre, le choix était très mince – surtout en France. Pour la plupart des
gens, l’unique manière d'avoir un aperçu du contenu d'un film avant le voir se
résumait à la jaquette de la boîte VHS. C'est à cette période qu'une vague de
films a débarqué en France : les films direct-to-VHS.
Aujourd'hui, je veux
vous parler des dérives entraînées par cette vague qui a envahi la France du
début des années 80 jusqu'à l'avènement d'Internet. Une multitude de sociétés
ont profité de l'ignorance globale et de la difficulté d'obtention
d'informations pour gonfler leurs chiffres de ventes. Pour mieux vous expliquer
les différents stratagèmes mis en place, j'aimerais vous présenter un film,
reconnu par une petite communauté comme étant l'un des plus grands nanars
jamais créés, qui reflète bien l'absurdité totale qui régnait dans l'industrie
cinématographique à petit budget d’alors.
Crocodile
Fury,
1988, produit par la firme hongkongaise Filmark,
spécialiste de la production de films à petits budgets que je qualifierais de
mashup dégueulasse. Pour bien comprendre ce qu'est un mashup cinématographique,
retournons à notre film. Crocodile Fury
est un patchwork géant : un assemblage de scènes réalisées par Ted
Kingsbrook, de scènes tirées des passages coupés d'un ancien film asiatique, Krai Throng 2, et de scènes tirées de
documentaires animaliers sur les crocodiles. Les premières – avec des acteurs
américains pour pouvoir s'exporter plus facilement mais détonant quelque peu
avec les anciens acteurs asiatiques des chutes récupérées – n'ont qu'un
but : rétablir un semblant de cohérence scénaristique dans ce grand
gloubiboulga.
D’ailleurs, parlons un
peu du scénario de ce chef d’œuvre. Pour ma part, avant de le regarder, j'ai pu
récupérer sur Internet le résumé du film disponible à l’arrière de la
jaquette : « Monica, sorcière
vampire, a le pouvoir d'envahir avec ses vampires. Ils peuvent détruire tout ce
qui existe sur terre. La situation empire lorsque Monica collabore avec Cooper,
le maître des mers. Cooper envoie des crocodiles mangeurs d'hommes pour créer
un chaos. Seul Jack, un homme honnête, peut mettre fin à ces horribles tueries ».
Inutile de dire que le scénario, même expliqué grâce à ce beau résumé, est
totalement incompréhensible du début jusqu'à la fin. Ce n'est pas pour cela que
je voulais aborder le sujet du scénario, mais plutôt pour le côté attractif de
la jaquette. A l’époque, il n’était pas rare qu'une société, légèrement fourbe,
possédant quelques films, ressorte jusqu'à cinq ou six fois le même film avec
des jaquettes et des noms très différents. Ces sociétés étaient donc les reines
des jaquettes mensongères et aguicheuses faites pour booster les ventes d'un
film n'ayant rien coûté. Celle de Crocodile
Fury = femme nue + crocodile + mitraillette + hélicoptère. Bien que le
film ne fasse jamais mention d'hélicoptères. Elle sera réutilisée un peu plus
tard pour la VHS d'un deuxième film, Météore,
le glaive de la vengeance.
Mais pour augmenter
encore plus les ventes d'un film sans payer un centime de plus, certains
réalisateurs sont allés bien plus loin. Ils ont commencé à s'inspirer, aussi
bien pour les titres que pour les jaquettes ou les acteurs, de films à très
grand succès. Pour bien comprendre ce procédé, prenons une trilogie de films à
succès sortie quelques années avant Crocodile :
Star Wars. Depuis sa sortie, Star
Wars a été une immense source d’inspiration pour tout un pan de l'industrie
cinématographique mondiale, mais quelques réalisateurs – souvent en dehors des
Etats-Unis pour ne pas risquer un procès – ont fait plus que s'inspirer du film
original. Dans cette gamme de films copiés, nous retrouvons le majestueux Turkish Star Wars, un classique
nanardesque reprenant l'affiche, le nom, et certaines scènes emblématiques du
film de base tout en remplaçant les acteurs par des vedettes locales – avec un
peu de recherche on peut trouver aussi un Turkish Star Trek.
Venons-en au dernier
point, celui qui donne souvent toute la saveur à un bon nanar : la
localisation. Les films direct-to-VHS
ont souvent des ventes assez faibles. Pour regonfler les chiffres, les studios
font souvent appel à de petites sociétés de traduction et doublage à petit prix
– lorsqu’ils n’essaient pas de traduire le film en interne. Il n'est pas rare
de retrouver d’innombrables fautes d'orthographe sur les jaquettes et des
doublages plus qu'approximatifs. A ce propos, je vous invite à aller voir
l’émission Escale à Nanarland, n°88
pour avoir un exemple de doublage raté dans Crocodile
Fury.
Crocodile
Fury
est donc l'exemple même de l'arnaque cinématographique que l'on pouvait trouver
à l'époque de la VHS. Mais ça n'en fait pas un si mauvais film pour
autant ; certes, il est difficile de trouver quoi que ce soit de bon à
dire sur le film, et c'est ce qui m'a poussé à le voir. Une telle accumulation,
totalement grotesque, de défauts, c'est du quasi jamais vu, et c’est pourquoi
je vous le conseille. Bon, peut-être pas comme un film, mais comme une
expérience amusante et délirante (tant que vous le prenez au trente-cinquième
degré, bien sûr).
De nos jours, on
pourrait se dire que cette période est derrière nous, et qu'une arnaque de la
sorte ne pourrait plus sortir, même en direct
to DVD, avec la quantité d'information qu'Internet nous prodigue, mais ce
serait se tromper. Il existe encore de petits studios, tels que Tom Cat Films, qui continuent à produire
des arnaques en surfant sur les grands succès du box-office avec des titres
accrocheurs tel que The Amazing BULK,
une copie de Hulk entièrement tournée
sur fond vert, ou Alien VS Titanic
(tout est dans le titre....) et bien d'autres.
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