Par la Maman des Dragons
Je
vous ai beaucoup parlé de fantasy, de
fandom, de fanart, mais je vais vous parler de ce qui me tient le plus à cœur.
Non, ce n’est pas Game of Thrones,
mais le théâtre. Je vous la fais courte : le théâtre, c’est ma vie depuis
que j’ai six ans. Alors, aujourd’hui, alors que les metteurs en scène les plus
prestigieux revisitent les classiques de façon moderne, moi je hurle dans mon
coin.
Je
vais prendre trois exemples que j’ai vus ces dernières années : Roméo et Juliette (théâtre national de
Chaillot, mise en scène de David Bobee, du 15 au 23 novembre 2012, d’après la
pièce de William Shakespeare), Lucrèce
Borgia (théâtre de l’Athénée, mise en scène de Lucie Berelowitsch, du 3 au
19 octobre 2013, d’après la pièce de Victor Hugo) et La Tragédie d’Hamlet (Comédie Française, salle Richelieu, mise en
scène de Dan Jemmett, du 7 octobre 2013 au 12 janvier 2014, d’après la pièce de
William Shakespeare). Bon, d’accord, ça fait deux Shakespeare contre un Hugo, mais ça se vaut.
Roméo et
Juliette, l'art de faire danser des
couvertures de survie
Non,
il ne s’agit pas d’une nouvelle version de
Romeo + Juliet, mais bien d’une mise en scène totalement indépendante de
la célèbre pièce. Je ne sais pas si vous êtes déjà allés dans la salle Jean
Vilar du Théâtre national de Chaillot, mais c’est une très belle salle. Grande,
assez moderne, avec une structure apparente en fer sur les côtés. La scène est
très simple, plus de rideaux, bref une salle moderne. La pièce commence bien,
un beau décor cuivré, un jeu de communication entre la scène et la salle, tout
pour plaire. Pourquoi, expliquez-moi pourquoi, David Bobee a décidé de
remplacer certains termes de la belle langue de Shakespeare par des « putains » et autres (surtout quand le père de Juliette la traite ainsi) ? Si ce n’était que ça… Pas de vrais décors – bon, ça va parce que c’est moderne –, mais des gros cubes à roulettes. Ça va. Mais faire danser du break dance à Mercutio,
je suis moyen fan.
Juliette n'est plus italienne, mais arabe. Pourquoi pas. |
Utilisation
à outrance des effets sonores, au point qu’on ait mal à la tête. Projection
d’images sur scène, d’accord, mais il ne faut pas être épileptique.
Et puis, s’il vous plaît, je lance un appel international aux metteurs en
scène : si nous autres, acteurs, nous travaillons notre voix pour
apprendre à la porter, ce n’est pas pour que vous mettiez des micros sur scène.
Il n’y a rien de pire pour dénaturer une pièce. Ce n’est pas naturel, il y a un
effet de distanciation, c’est… beurk. Ah oui, autre chose que je ne comprends
toujours pas, même presque deux ans après (je suis allée voir la pièce le 23
novembre 2012) : pourquoi avoir fait sortir les cadavres de Tybalt et de
Mercutio en les faisant danser ? Shakespeare avait prévu le coup en plus, reprenons
le texte : « LE PRINCE : […] Qu’on emporte ce corps et qu’on
défère à notre volonté : la clémence ne fait qu’assassiner en pardonnant à
ceux qui tuent. » (traduction de François-Victor Hugo). C’est la
fin d’une scène, rien de plus simple pour faire évacuer la scène. Pourquoi donc
David Bobee a décidé de recouvrir Tybalt et Mercutio de couvertures de survie
et les faire quitter la scène en dansant de la techno ? Expliquez-moi.
S’il
y a eu des idées intéressantes et modernes, tout n’est pas à garder. Si je
devais donner une note sur dix, ce serait un maigre quatre. Juste parce que
Tybalt était vachement mieux foutu que Roméo, et que si j’avais été Juliette, je
n’aurais pas hésité.
Lucrèce
Borgia ou comment jouer une Italienne
version parisienne
Qui
n’a pas entendu parler de cette tristement célèbre famille qu’ont été les
Borgia ? Je vous les présente en vitesse : Rodrigo Borgia, devenu le
Pape Alexandre VI, ses fils Cesare, Giovanni et Gioffre Borgia, sa fille Lucrezia
Borgia. Victor Hugo a écrit une très belle pièce sur cette dernière, lui
donnant un visage plus humain, différent du visage de monstre dont on peut
souvent l’affubler (comme il a été fait dans Assassin’s
Creed: Brotherhood). Je pourrais écrire longtemps sur la beauté de cette pièce, le génie d’Hugo et l'erreur que nous faisons en méprisant Lucrèce, mais ce n’est pas ici le but. Je vais vous parler de la
mise en scène que je suis allée voir le 12 octobre 2013 avec
Alabama.
Les fêtes Borgia dans toute leur splendeur, du WTF total. |
Que nous soyons bien d’accord : la pièce se passe en Italie. En Italie. Alors je veux bien que, comme le dit si bien Hugo, on ne va pas pousser le réalisme d’une pièce à l’extrême en écrivant tout en italien, mais s’il vous plaît… Ne demandez pas à une actrice ayant un accent parisien particulièrement prononcé de jouer Lucrèce. S’il vous plaît. Une heure cinquante avec une actrice principale qui chante son texte avec l’accent parisien et qui oscille sur place, incapable de bien se camper. Tout pour décrédibiliser ce magnifique personnage qu’est Lucrèce. Ceci étant dit, parlons de la mise en scène. Selon Alabama, c’est l'exact procédé de Baz Lurhmann pour fabriquer l'ambiance de Romeo + Juliet. Le problème ? C'est qu'ils n’assument rien. Ils ne vont pas au bout de leurs idées. Non, certes. Les grandes lettres lumineuses qui clament « Borgia » (rappelant au passage l'esthétique de Moulin Rouge!, un autre chef d'oeuvre de Lurhmann) et le peignoir de boxeur, pourquoi pas. Mais assumez-le. C’est dommage parce que le décor était joli, assez destroy comme j’aime bien, donnant une ambiance un peu fin du monde (carreaux cassés, plantes grimpantes qui envahissent tout, échafaudages abandonnés). Les costumes sont assez intelligents également, des costards pour les hommes, une robe assez simple mais actuelle pour Lucrèce, ça modernise bien. Mais pourquoi ne pas l’avoir assumé ?
Cette
pièce avait du potentiel, un beau jeu de lumière, la musique était cependant un
peu trop fort, tous les acteurs n’étaient pas à jeter à la poubelle (nous avons
beaucoup aimé celui qui jouait Gubetta et quelques autres acteurs), le décor était prometteur, surtout pour refléter l’âme de Lucrèce. Sur une échelle de un
à dix je donnerai un six. J’aurais aimé donner un sept et demi, mais Lucrèce.
La Tragédie
d’Hamlet : rien ne va plus à
la Comédie Française
Le
mariage rêvé : Shakespeare et la Comédie Française. Un des plus grands
tragédiens anglais et une des plus grandes troupes françaises. Mais voilà,
cette pièce a été un véritable divorce. Alabama témoignera, nous y sommes
allées le 8 novembre 2013 : plus jamais. Le divorce. La rupture. Avec
perte et fracas. Il y a tant à dire mais ciblons le plus flagrant :
l’adaptation, les décors et costumes, les acteurs. Pour faire court.
Commençons
par l’adaptation, ou la mise en scène au choix. Alors pour citer Alabama qui ne
cessera jamais de le dire : ne jamais prendre Yves Bonnefoy pour une
traduction de Shakespeare. Jamais. C’est… il n’y a pas de mots. Qui traduirait
« To be or not to be […]? »
par « Être ou n’être pas […] ? »
Pas François-Victor Hugo qui écrit plutôt « Être ou ne pas être […] ? » Ce n’est pas très différent mais
quand on est sur scène, la différence s’entend. Ah oui, autre petit détail de
mise en scène : les acteurs (et en tête de liste ceux de la Comédie
Française) travaillent leur diction, la façon dont ils diront un texte. Et un
texte classique comme celui de Shakespeare se dit d’une façon classique, quoi
que l’on fasse, on ne peut pas y échapper. Ils projettent leurs voix, font
attention à leur articulation, c’est bien. Enfin. Pas quand Dan Jemmett leur
demande d’ajouter des phrases banales entre leurs répliques, du style
« wesh ça va ? ». Ça s’entend. Je vous explique vite fait ce que
ça donnait : FORT, pas fort, FORT. Ils n’assumaient pas, dommage. Bon, la
pièce est longue, je l’accorde, mais quand on fait des coupes, on s’arrange
pour que ça soit subtil. Niveau subtilité… Alabama vous en parlera mieux que
moi pour le coup.
La chemise turquoise, le dernier hit mode du moment. |
Les décors et les costumes, parlons-en. Non, sérieusement. Je propose de prendre rendez-vous avec Dan Jemmett pour qu’on en parle. Soit, la pièce se passe au Danemark. Soit, on ne sait pas très bien quand l’action se déroule. Mais, pitié, ne placez pas Hamlet dans un club d’escrime. N’affublez pas Hamlet d’un costard bleu turquoise et de lunettes de soleil à verres jaunes. C’est le kitsch absolu. Que dire d’autre ? Ah oui, l’utilisation excessive de musique au mauvais moment (ceci dit, c’est intelligent d’introduire un jukebox sur scène pour avoir une excuse pour mettre de la musique). Non mais, sérieusement. La musique, au cinéma comme sur scène, c’est censé souligner l’action. Pas mettre une musique du style I believe I can fly quand Hamlet vient de tuer le père d’Ophélie. Instant tragique de la pièce. Instant où tout va changer. Non non non, le père d’Ophélie meurt de façon absolument pas tragique : il pousse un grand « Ah ! je meurs ! » et tombe sur le jukebox en l’allumant. Toute la salle riait. Pour les larmes de tristesse, on repassera. Une autre chose, les toilettes sur scène c’est pas très classe.
Et
maintenant je peux critiquer les acteurs. Je suis désespérée. Je ne sais pas.
Ils sont à la Comédie Française, non ? Ils sont censés savoir jouer,
non ? Alors pourquoi, dans le tas, il n’y en a qu’un qui valait le
coup ? À savoir : Laurent Natrella qui jouait (tenez-vous bien)
Bernardo, Valteman, Deuxième comédien, le Marin, Premier fossoyeur, le Prêtre,
l’Ambassadeur d’Angleterre. Je vais pleurer rien qu’en y repensant, si si. Ah
oui, autre chose : quand on joue Hamlet,
on ne fait pas mourir Ophélie d’une overdose de médicament dans les toilettes.
Tiens, parlons-en d’elle. Insupportable. Si j’avais pu je lui en aurais
retourné une pour qu’elle arrête de geindre. Ah, et dernière chose : on ne joue pas le rôle d'Hamlet quand on a cinquante ans. Il faut que la Comédie Française cesse de faire la distribution en fonction de l'importance de leurs comédiens et commence à penser la personne en fonction du personnage.
Un
véritable divorce, voilà le seul mot qui me vient à l’esprit. J’avais du
respect pour la Comédie Française, aujourd’hui, je doute. Ce ne sera qu’un
trois, toujours sur mon échelle de un à dix. Voire même un deux.
Voilà.
La mise en scène moderne au service du théâtre classique, un grand échec. Je
peux vous citer la mise en scène de Britannicus, Théâtre des Amandiers de Nanterre, ou encore Oedipus/bêt
noir de Wim Vandekeybus au Théâtre de la Ville (Alabama et moi avons failli
nous tirer une balle) (sans compter qu'Alabama avait trente-neuf de fièvre). Mais ceci dit, tout n’est pas à jeter et je peux vous
citer la magnifique mise en scène de Twelve
Night par la troupe Propeller. Un véritable exemple parfait de l’alliance
subtile entre le théâtre classique et la mise en scène moderne. Comme quoi, tout
est possible.
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