Par Rainbowl
Aujourd’hui, nous allons parler de la communication de
campagne, enfin surtout des affiches. Sinon ce serait beaucoup trop long. Non,
concentrons nous sur une méthode de communication bien particulière, la
communication de campagne.
Regardons les choses en face : pourquoi
rions-nous des affiches ridicules des politiciens, de leurs musiques de
campagne si oubliable ? Parce qu’elles détonnent complètement. C’est de
l’humour absurde, c’est presque les Monty Python : Sarkozy veut nous faire
voter pour lui en 2007 avec une chanson rythmée, et en 2012, en posant devant
une fausse mer. Sur le papier, c’est ridicule et personne n’y croit. Et en fait…
Wah, pardon, je vote Sarkozy maintenant, c'est trop efficace ! |
Pour le clip de campagne de 2007, tapez « Sarko oh oh », vous ne serez pas déçus. Je parle de Sarkozy, car Hollande a choisi une affiche de campagne plus discrète, moins trollable, si banale que je l’avais oubliée et qu’il n’est pas intéressant de mettre ici. En réalité, il semblerait que les politiques en soient réduits à être ou complètement ridicules ou complètement oubliables, la deuxième solution étant la meilleure. Alors est-ce utile ? Car ils dépensent de l’argent pour ces choses-là ! Vous me direz, c’est pour rappeler qui est le candidat de droite, de la gauche… Mais merci, avec les médias aujourd’hui, on le sait suffisamment. Je crois que personne n’attend ces clips ou ces affiches dans l’espoir de pouvoir mieux choisir pour qui voter. Au mieux, une affiche oubliable et un clip simple renforcent le favori, et à l’inverse des choix ridicules affaiblissent peut-être un candidat déjà donné perdant. C’est Hollande/Sarkozy en 2012. Vous noterez qu’Hollande n’est pas exempt de ridicule avec ce geste pathétique reproduit par les éléphants du PS et des militants.
Ceci dit, je doute sincèrement que quelqu’un en voyant cela se
soit dit « Je voulais voter Hollande, mais c’est trop stupide, je vote
Mélenchon ! ». Même si je ne pouvais pas encore voter en 2012 (à un
mois près) je pensais à ce que j’aurais fait devant l’urne. J’étais très
indécise mais ce n’est pas une affiche qui m’aurait aidée à y voir plus clair.
Disons-le, ces affiches et ces clips sont
ridicules, et pourtant tous les cinq ans, nous y avons droit. Pourquoi ? Pour
répondre à cette question, il faut que nous nous intéressions au début de la
communication telle qu’elle est aujourd’hui. Il faut parler de François
Mitterrand.
Ce que je vais dire maintenant s’inspire du
documentaire Devenir président et le
rester de Cédric Tourbe. Je ne vais pas en faire un long résumé, cela vous
priverait du plaisir de le regarder. Ce qui m’intéresse ici, c’est la naissance
de la communication. Nous apprenons qu’en été 1977, un publicitaire de gauche,
Gérard Colé, désespéré de voir que ses propositions pour faire gagner le PS ne soient
pas entendues, embarque François Mitterrand et un photographe sur quelques
endroits propices aux photos. Le résultat, c’est un nouveau style d'affiche politique en France.
C'est autre chose que Sarkozy ou Hollande, non ? |
Bravo Jeannot. |
Souvenez-vous des affiches avant. On représentait, pour le PS, un ouvrier, quelqu’un du peuple.Ou des photos moches. En noir et blanc, et sans vrai travail sur l’image. L’idée, ce n’était pas de rendre beau l’homme politique pour lui-même. De Gaulle devant un drapeau, le message, c’était « De Gaulle, c’est la France, vous aimez la France, donc votez de Gaulle ». Les affiches de Mitterrand à l’époque n’étaient pas mieux : plus de texte que d’image, une photographie vite fait… A la limite, un bon point pour Lecanuet, qui se permet un beau sourire, plus attractif. Enfin, c’est quand même moche.
Redonnons à Giscard
ce qui appartient à Giscard, et reconnaissons-le, il a fait un peu plus d’effort
que les autres. Il apparaît sur une belle photo avec sa fille, presque pris sur
le vif, naturel, parfait. Très bien, bravo Valéry. En plus, tu as gagné en
1974. Mitterrand avait un truc assez minable, une photo toute petite sur un
fond bleu, avec une énorme phrase, longue, sur toute l’affiche. Giscard a
compris lui, instinctivement. Il n’a pas su aller jusqu’au bout, d’où sa
défaite, sept ans plus tard, face à un Mitterrand transformé.
Ici, c’est l’homme politique que l’on met en
valeur, et ça, c’est nouveau et très intelligent. J’ai même envie de dire qu’on
met en valeur le produit : Colé est publicitaire, je le rappelle. Lui-même
dira que cela ressemble à une photo de mode. Mitterrand devient un modèle. A
partir de maintenant, les affiches ne deviennent plus des tracts en plus grand,
mais réellement des œuvres d’art. J’exagère un peu, mais c’est pour vous
montrer que maintenant on met en avant l’esthétique et le travail de l’image.
Vous connaissez l’affiche « La force tranquille » de 1981 de
Mitterrand ? Voilà du beau travail.
Je ne vais pas rentrer dans l’analyse complète de la
campagne de Mitterrand. Cela sert ici de point de comparaison avec les
pratiques actuelles : Mitterrand, en 77, n’était pas du tout le favori
pour la présidentielle. Grâce à Colé et Jacques Pilhan, un autre publicitaire
génial, il sera triomphalement élu en 1981. Ne comparez surtout pas cela à
l’élection de Hollande en 2012. C’est d’un autre niveau. A vrai dire, à part
Sarkozy en 2007, qui a su faire jouer son réseau médiatique en devenant l’homme
indispensable et moderne ? Je ne
vois pas réellement qui a su si bien utiliser la communication. En effet, la
chanson Sarko oh oh, bien qu’assez…
stupide, témoigne d’une envie de dynamiser le candidat, de le faire passer pour
jeune, et passe très bien en meeting. Cependant, même Sarkozy n’a finalement su
que simplement tirer profit d’un réseau de médias et n’a pas réellement compris
tout ce qu’il pouvait faire en matière de communication, preuve en est de son
échec à conserver cette image positive. Imaginez un Colé ou un Pilhan au
service de Sarkozy en 2012 pour le sauver comme ils ont sauvé Mitterrand. Mais
pour cela, il faut une vision à long terme et c’est ce qui manque cruellement
aux candidats d’aujourd’hui. En réalité, seule Marine
le Pen en 2012, avec son affiche réellement réussie, et tout son travail pour
rendre le FN sympathique, au moins en apparence, a compris le pouvoir de la
communication, peut-être parce qu’elle n’avait pas vraiment le choix pour se
démarquer de son père. Force est de constater qu’elle a réussi, soit dit en
passant.
Car les affiches de Mitterrand peuvent faire sourire avec le
recul, mais elles s’inscrivent dans une communication globale. Les
communicants, puisqu’ils ont créé le métier, utilisaient des études très
précises sur les besoins des Français, études normalement conçues à des fins
commerciales. C’était des plans de
grande ampleur. On a maintenant l’impression que les candidats font des
affiches et des musiques « parce que c’est la tradition ». Il n’y a
plus de vrai story-telling. Soyons
honnêtes, Hollande n’a pas été élu parce qu’on le voulait, lui, mais par dégoût
de Sarkozy. Ce dernier a d’ailleurs vaguement tenté de la jouer Mitterrand en
1988 : l’homme providentiel, l’élu, faire monter le suspense… Du
Mitterrand en mal fait. Les communicants avaient réussi à donner aux gens le
désir de voter Mitterrand, et cela en 1981 et en 1988, alors que tout semblait
perdu, à chaque fois. Sarkozy en 2007 a gagné contre une candidate, Ségolène
Royal, qui faisait des gaffes et qui était abandonnée par son parti, alors que
lui-même avait tous les médias de son côté, et Hollande a gagné face à un
président sortant déjà impopulaire et qui a raté sa propre campagne. Vous voyez
bien la différence entre voter pour quelqu’un et voter contre quelqu’un.
Si les affiches ou les musiques sont ridicules aujourd’hui,
c’est parce qu’elles tentent vainement de ressusciter une stratégie de
communication qui ne pourrait fonctionner que si elle était réellement
appliquée. Aujourd’hui, ce sont plutôt des ficelles, des astuces plutôt qu’un
plan. Éventuellement, on peut dire que la stratégie actuelle de Sarkozy, son faux silence médiatique, est ce qui s’apparente le plus à un plan de com’.
Mais tout cela est loin d’être parfait et ressemble plus à un plan de
secours. Les ficelles sont tellement grosses qu’elles sont déjà critiquées. A
sa décharge, et à celle des autres, il est difficile aujourd’hui de faire
quelque chose sans voir tout de suite après cinq politologues sur un plateau
décortiquant leurs moindres faits et
gestes.
Et quel est le résultat ? Des affiches ridicules et
inutiles. Mitterrand a lancé la mode, personne ne l’a compris mais tout le monde le fait.
Une affiche seule n’a aucun sens si elle ne s’inscrit pas dans une histoire.
Mais dans une vie politique de plus en plus centrée sur l’instant présent,
comment est-il possible de prévoir ? Vous l’aurez peut-être compris, la
com’ me fascine. C’est une arme de bataille, et même si on la réprouve,
elle ne peut que provoquer une certaine admiration dans sa plus parfaite
exécution. En tout cas, réjouissons-nous : nous aurons, je pense, encore
beaucoup d’affiches à parodier dans les prochaines années.
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