Par Alabama
Si
tu as vu la saison trois de Doctor Who,
le nom de Hooverville devrait te dire quelque chose. Sinon, tu es pardonnable.
Hooverville
est un élément capital de la Grande Dépression que nous avons eu tendance à
oublier. Comme le Volstead Act, c’est un sujet qui fait partie d’un ensemble
historique très complexe, et que l’on se contente d’évoquer sans vraiment
l’approfondir. Ma Bible de l’Histoire des Etats-Unis n’en fait même pas mention
(je me suis sentie un peu trahie sur le coup).
Oui
oui oui, je vous explique le pourquoi du comment de QU’EST-CE QUE C’EST QUE CE
TRUC ALABAMA C’EST UNE VILLE SISI OU BIEN ? Hooverville, c’est le surnom que
l’on a donné à tous les bidonvilles (donc il n’y en a pas qu’un seul, c’est
tous les machins qui s’appellent comme ça) nés aux Etats-Unis après le crash
boursier de 1929 (tu sais, le Mardi noir et tout) (si tu sais pas, c'est pas grave : c'est juste une très grosse crise) pour parfois durer jusque dans les années 40. En fonction des lieux, des populations, de
l’économie locale et des solidarités, les dates varient : à Central Park,
Hooverville a commencé en 1931 pour s’arrêter en 1933 (dans Doctor Who, le Doctor et Martha y
arrivent en 1930. Russel T. Davies, t’aurais quand même pu vérifier tes dates.).
Court, certes, mais très représentatif du problème. On y reviendra.
En vrai, voilà à quoi ça ressemblait. Non, ça n'évoque pas vraiment les Etats-Unis. |
Pourquoi
Hoover ? Hoover n’est pas une marque d’aspirateur (minhinhin !) mais un président des Etats-Unis, que tout le monde a oublié et qui s’en est pris
plein la gueule puisque c’est sous son mandat que la Bourse s’est écroulée.
Bon, était-ce vraiment de sa faute, ça, c’est une toute autre affaire. Le fait
est que Hoover a été perçu comme un do
nothing leader. Un chef qui ne fait rien, qui regarde les oiseaux passer, qui
se dit que c’est triste, la pauvreté, et qui ne prend pas les mesures
nécessaires pour affronter la crise économique. Mais, si tu es étudiant en
Histoire, tu le sais, sinon, je te l’apprends : l’Histoire, aujourd’hui,
consiste à prendre les méchants et à dire qu’ils étaient gentils, et
vice-et-versa. Parce qu’il faut bien qu’on s’occupe. Hoover, c’est pareil.
Notre point de vue sur lui a évolué. C’est comme ça que fonctionne
l’Histoire : elle ne peut se faire sans recul. Les réactions à chaud sont
souvent aveuglées par des sentiments que nous avons aujourd’hui du mal à
comprendre. Hoover a réagi. Mais mal réagi. Il a rencontré des hommes d'affaire, des syndicats, et finalement est resté sourd aux voix qui lui demandaient d'utiliser les fonds nationaux pour éviter que l'économie ne plonge avec les cours de la Bourse. Au contraire, se fiant à l'optimisme des consommateurs, il a décidé une réduction d'impôts de 160 millions de dollars, en espérant que les fonds épargnés soient ré-insufflés dans l'économie pour prévenir une nouvelle crise. A l'époque, on a caricaturé cette décision en clamant que... le Président ne fait rien. On lie son nom à tout ce qui touche à la pauvreté : les Hoover cars
sont les voitures tirées par des chevaux, faute d’argent pour l’essence, les
Hoover leathers sont des chaussures faites de carton, les Hoover blankets
sont les journaux détournés en couverture. On a même le Hoover
flag : une poche de pantalon retroussée dedans-dehors pour symboliser que… y’a plus de sous.
Mais
revenons vers Hooverville. Pour commencer, je te mets une petite vidéo de trois
minutes qui résume assez bien la chose. Le problème, c’est que c’est en
anglais. Si tu parles anglais, c’est bien, si tu ne parles pas anglais, c’est
pas grave, il y a de jolies images, et puis je vais essayer de tout bien
expliquer dans mon article.
Que
s’est-il passé ? Je suis franchement une pelle en économie, alors on va
faire simple (si un économiste passe par là, il a tout à fait le droit
d’éclairer ma lanterne qui dormait pendant les cours de SES). Crise. Dans tout
le monde du monde en rapport avec la Bourse. Mais aux Etats-Unis, c’est pire
qu’ailleurs. La première conséquence : les gens perdent leurs jobs. Du
coup, ils perdent leurs maisons. Du coup, ils sont à la rue. Oui, je pratique couramment le syllogisme socratique. Et pour que tout
soit bien moisi, des tempêtes de sable traversent le pays et pourrissent les
cultures des fermiers. Tous ces nouveaux sans-abri se réunissent en groupe de
pauvres (parce que du coup, ils sont pauvres), dorment ensemble, et finissent par s’installer ensemble sur des
terrains abandonnés, des quartiers délaissés, des parcs publics, dans des
maisons fabriquées avec tout et n’importe quoi. Evidemment, ces villages ne
sont pas reconnus par le gouvernement et sont démantelés par les autorités dès
que l’occasion se présente. La (le ? Disons « la ») plus grande
Hooverville se trouve à Saint-Louis, dans le Missouri, et compte un millier de
personnes. Ça fait peur, un peu. Celle de Seattle, située sur le port, est
aussi très imposante. Ces bidonvilles jalonnent toute l’Amérique, dans laquelle l’hostilité laisse parfois un peu de place à la sympathie. En juillet 1931, le
juge, au lieu d’éjecter vingt-deux chômeurs de la Hooverville de Central Park,
suspend la condamnation et leur donne à chacun deux dollars de sa poche. Ça
peut paraître peu (et ça l’est), mais ces hommes sont habitués aux travaux à la semaine payés un dollar net d'impôts.
En
1932, un certain Roosevelt se fait élire à la nomination du parti
démocrate (tu sais, l’année suivante, il gagne les présidentielles et bidule
truc). Déjà trois ans que la crise est apparue, la Grande Dépression est bien
avancée. Il veut, entre autres choses, réhabiliter ces hommes et ces femmes
oubliés, tapis au fond du parc à droite de l’entrée du métro. J’ai dit que je
reviendrais sur ce décalage : Hooverville, ce n’est pas le fin fond de la
campagne. Ce sont de grands espaces plus ou moins libres, à côté de chez
toi. C’est le port, le parc, un quartier défavorisé. Hooverville, on le voit au
quotidien. On ne va pas s’y promener, mais on ne peut pas l’ignorer.
Aujourd’hui, les bidonvilles sont sur les bordures du périph. Bon. Imaginez
qu’ils soient au milieu du Champ de Mars.
Photo de la Hooverville de Seattle en 1933. |
Voilà
l’ambiance. Des jobs à un dollar la semaine, souvent dans le bâtiment ou dans tout autre boulot bien nul, la famine, le froid, un peu de solidarité. On se bat pour un
morceau de pain (c’est pas une chanson de Raphaël, ça ?), mais on
s’entraide, parce que c’est tout ce qu’il reste. Ce n’est pas très différent de
la misère d’aujourd’hui, finalement. On a souvent tendance à penser que dans le dénuement le plus total, les victimes s'unissent contre leur bourreau. C'est là que j'ai bien envie de vous conseiller Si c'est un homme de Primo Levi. Techniquement, ça n'a rien à voir, ça parle des camps de concentration. Mais Levi expose très bien la subtilité des relations humaines dans ces moments de désespoir, qui s'applique en un sens, et dans une moindre mesure, aux Hoovervilliens (oui, là, j'avoue, j'ai inventé le nom).
Photographie de 1931. D'habitude je fais des blagues dans mes légendes, mais là c'est trop horrible. |
Mais
en 1933 arrive Roosevelt. Il est cool, il met fin au Volstead Act (ah oui, je
rappelle, on avait officiellement pas le droit de boire : t’as plus
d’argent, plus de maison, et même pas le droit à de la Villageoise), et
surtout, il propose le New Deal. Le New Deal, c’est un programme économique qui
vise à redresser les Etats-Unis. Et, avec leur influence, une bonne partie de
l’Occident. Toute cette petite affaire passe par un autre programme, celui du
travail permanent, le WPA, pour employer 8,5 millions de personnes. Une plutôt très bonne nouvelle.
En 1934, c'est un
nouveau maire qui arrive à New York : le républicain LaGuardia (Fiorello, pour les intimes). Il arrive dans
une ville dévastée. C’est pas du tout le New York de la carte postale que ton
grand cousin t’a envoyée y’a deux mois. Il lance une vaste politique de
reconstruction et, tout naturellement, Central Park en fait partie. Mais son
état est désastreux : les grandes pelouses sont redevenues de la terre,
tout est jonché de mauvaises herbes ; en été, le parc est recouvert de
poussière, tandis que l’hiver, il se transforme en terrain boueux. Les bancs,
s’ils sont toujours là, sont à moitié détruits et les anciennes allées
ressemblent à… Eh bien, on ne voit plus vraiment d’allées. LaGuardia a tout
reconstruit. Comme vous avez pu le constater, je me suis concentrée sur New York (j'aime bien l'Histoire de cette ville, je sais pas trop pourquoi). Mais, grâce au WPA, une bonne part des Etats-Unis a pu retrouver de ses couleurs durant ces années-là (ce fut un plaisir de te mettre Claude François dans la tête).
Bien que certaines Hoovervilles se poursuivent jusque dans les années 40, la plupart s'éteignent après le début du New Deal, thank you, holy TARDIS of Gallifrey. Cela ne signifie bien sûr pas que la misère fasse de même. Mais je pense que nous avons suffisamment déprimé pour aujourd'hui. On se retrouve bientôt pour un nouvel article d'Histoire sur les super héros.
A bientôt mes agneaux !
*applaudit* encore un article d'histoire, encore! (le holy tardis of gallifrey m'a tué >.<')
RépondreSupprimerMerci beaucoup ! Ca fait plaisir de voir que mes références grandioses te font rire :)
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