Par LaManie
En décembre 1895, une petite dizaine de personnes assiste au Salon Indien du Grand Café, boulevard des Capucines à Paris, à la première projection du fameux cinématographe des frères Louis et Auguste Lumière. Lors de cette projection, certains films qui marqueront l'Histoire sont présentés : La sortie des usines Lumière à Lyon, Le jardinier (plus connu sous le nom de L'arroseur arrosé) ou encore Le débarquement du congrès de photographie à Lyon. Petit point à éclaircir : Entrée d'un train en gare de la Ciotat, avec la fameuse entrée du train dans le champ qui en aurait fait sursauter plus d'un, ne fait pas partie de ce programme du 28 décembre, puisqu'il n'a été tourné qu'en janvier 1896.
À cette occasion, leur papa, Antoine, un des précurseurs du photo-portrait dans le domaine domestique, a invité un de ses amis, plus exactement le propriétaire du petit local qu'il loue au-dessus d'un certain théâtre. Son propriétaire est un illusionniste célèbre, possesseur du fameux Théâtre Robert-Houdin, dans lequel il donne des représentations de magie et d'illusions. Cet homme, cet immense prestidigitateur se prit de passion à la première vue de l'image animée des frères Lumière. Cet homme essayera à son tour de créer une machine à images et deviendra l'un des plus grands précurseurs du cinéma. Cet homme, il s'agit de Georges Méliès.
Eh oui, c'est toi, Monsieur ! (J'ai la même tête quand j'écoute quelqu'un parler de maths.) |
Un peu d'Histoire pour commencer...
Georges Méliès est né en décembre 1861, de parents cordonniers qui veulent son bien. Et pour cela, il faut qu'il soit cordonnier aussi. Mais notre cher Georges n'est pas de cet avis. Lui, il aime l'aventure, l'inconnu et les trucs nouveaux. C'est pour ça que, très jeune, son papa lui propose de partir faire un petit voyage en Angleterre, pour qu'il apprenne l'anglais – visionnaire ce papa, il avait compris qu'Erasmus, ça servirait à quelque chose ! Mais Georges est plus futé que ça, il ne travaille pas juste dans l'entreprise où papa l'a mis, il se balade et découvrir le patrimoine londonien. C'est ainsi qu'il se retrouve un jour devant l'Egyptain Hall, un énorme théâtre dirigé par le grand illusionniste John Maskelyne. Il assiste à un spectacle et oh, magie !, il tombe littéralement amoureux de la prestidigitation. Enfin un domaine intéressant pour un homme intelligent et curieux comme lui ! Il se retrouve ainsi apprenti de l'illusionniste, qui lui apprend ses tours mais aussi comment se gère un théâtre. Et c'est avec toutes ces nouvelles connaissances que Georges Méliès rentre chez lui quelques mois plus tard. Bon, évidemment, papa n'est pas trop content que son fils chéri décide de devenir une sorte de Merlin l'Enchanteur : qui prendra la succession de son entreprise de chaussures ? Heureusement, Georges est diplomate, alors il arrive à convaincre son père que les chaussures, c'est pas son truc.
Une chose pas très reconnue de Georges, c'est qu'il a toujours été passionné par la politique. Tant qu'il participa au journal antiboulangiste La Griffe en tant que caricaturiste, travail pour lequel il avait un vrai don. À la même époque, il se marie avec une pianiste, Eugénie Genin – vous aussi l'allitération vous fait rire ? – et commence à donner des représentations de magie au Musée Grévin. Au fur et à mesure, le jeune Georges s'améliore nettement dans ce domaine. Si bien qu'il rachète en 1888 le Théâtre Robert-Houdin – c'est de lui qu'Houdini tire son nom, si si – à la veuve de ce dernier. Ainsi commence la vie de magicien et tenancier de théâtre de Georges Méliès.
Il se constitue alors une troupe de théâtre, avec des magiciens évidemment, mais aussi des artistes de tous genres et des mécaniciens pour s'occuper des automates laissés par Robert-Houdin. Dans cette troupe, on retrouve aussi Jeanne d'Alcy, qui deviendra plus tard la deuxième femme du magicien. Méliès se sent tellement investi dans ce domaine merveilleux qu'il crée moult syndicats de magie et d'illusionnistes en France, dont il sera évidemment le directeur à chaque fois. Tout semble aller pour le mieux ! Il est ouvert d'esprit et décide ainsi d'organiser de séances de projections photographiques, parce que cette technologie le passionne. De plus, il a beaucoup d'amis. Que ce soit des magiciens ou des inventeurs, tout le monde veut travailler avec Georges Méliès. Et lorsque qu'un certain Antoine Lumière lui demande s'il peut louer l'atelier au-dessus du théâtre, Georges se doute bien qu'un jour, Antoine saura le remercier comme il se doit.
La découverte du cinéma
L'appareil de prise de vue de Méliès, sous verre dans un entrepôt de la Cinémathèque française. Et j'ai pu l'approcher ! |
Et nous revoilà à ce fameux 28 décembre 1895. Une fois la séance terminée, Georges a des étoiles plein les yeux. Il aimait déjà les photographies, le magie de l'image, et la voici maintenant dans l'image elle-même. Sans introduction, il fonce vers son copain Antoine Lumière et le presse de lui vendre cette machine fabuleuse. Mais, réplique bien connue, le père Lumière annonce qu'il ne cédera pas le cinématographe de ses fils car, dit-il, « cette machine n'a aucun avenir » – je vous la résume. Mais qu'est-ce qu'il faut pas dire des fois ! Antoine et ses fils se sont bien trompés cette fois-ci.
Bref, Georges ne perd pas espoir. Il est futé, ce jeune illusionniste, si bien que par d'habiles tours de mains et de nombreux contacts, il recrée son propre appareil pour lequel il dépose un brevet et initie la première société de production : la Star Film. Maintenant débute son travail de cinéaste. Bon, quand on connaît pas, on copie, c'est plus simple. On fait donc ce qu'on appelle des vues, on filme la vie, tout simplement.
C'est grâce à ça que Méliès crée le premier effet spécial – si si, c'est un beau gosse. Un jour qu'il filmait place de l'Opéra à Paris, le mécanisme de sa caméra se bloqua. Sauf que pile à ce moment-là passait l'omnibus Madeleine-Bastille. Et en visionnant la pellicule par la suite, Méliès se rendit compte que l'omnibus s'était allongé pour former une sorte de corbillard-bus et les têtes des passants se sont changées. Là, il comprit qu'il tenait quelque chose.
Le cinémagicien, conteur d'histoires merveilleuses
Après cette (longue) partie d'Histoire, parlons de Méliès le réalisateur. Celui qui créa ce qu'on appelle le spectacle cinématographique. Pour résumer : Lumière, c'est le documentaire. Méliès, c'est la fiction.
La fiction implique une histoire, des actions, des situations et des personnages. Pour cela, il fallait un sujet. Quoi de plus simple que de prendre des histoires préexistantes, comme des livres. Mais des beaux livres, attention ! : Vingt mille lieues sous la mer, Faust, Cendrillon, etc. Évidemment, Méliès a une imagination sans bornes, il a aussi créé ses propres histoires. Et c'est là que tout devient intéressant. Je vais vous raconter une histoire...
Le Voyage dans la Lune, chef-d'œuvre d'un siècle
La Maman des Dragons mettant ses lentilles le matin. (Elle va me tuer.) |
Oui, je sais, dès qu'on parle de Méliès, ce film est toujours mentionné à un moment ou à un autre. Mais là, c'est une question de goût personnel, de mon amour pour le film le plus parfait de tous les temps.
Le Voyage dans la Lune, c'est l'histoire d'une troupe de scientifiques qui trouve le moyen d'aller sur la Lune grâce à une fusée. Mais une fois arrivée là-haut, les astronautes sont faits prisonniers par les autochtones Sélénites. Ils finissent par s'enfuir et retomber sur Terre sains et saufs. Voilà un TRÈS bref résumé. Je vous invite à regarder le film, qui est évidemment libre d'accès sur YouTube.
Ceci est un corbeau-crabe-poulet-humain pas content poursuivi par un pou géant. Aussi appelé Sélénite. |
Maintenant, parlons de la magie de ce film. Inspiré très librement du livre De la Terre à la Lune de Jules Verne, Méliès a voulu présenter sa vision de la technologie et du plus grand désir de l'Homme : visiter l'espace. Bien sûr, la technologie est montrée comme accessible et simple, avec ces grands schémas de papier-carton. Pour propulser le vaisseau spatial qui peut contenir nombre d'individus (et leur barbe), c'est un canon gigantesque, comme ceux utilisés pour les hommes-volants des cirques – Méliès a de bonnes références !
Une fois arrivés, quelle chance, c'est tout une assemblée de monstres autochtones, les Sélénites, qui accueille nos scientifiques. Vous pouvez retrouver un costume de Sélénite dans le Musée du Cinéma de la Cinémathèque française, qui vaut vraiment le coup. Mais comme ils sont trop forts ces Humains, ils pulvérisent les méchants rapidement et s'échappent fissa, en traversant une jungle remplie de champignons géants. Autant dire que le monde de Méliès est édulcoré et fascinant.
Évidemment, tout est simple et tout est beau. Quand les scientifiques rejoignent leur vaisseau, ils m'ont qu'à le pousser pour qu'il retombe sur Terre et plonge dans la mer – vous ne connaissez pas les VIGV (Voyages Interstellaires à Grande Vitesse) ? C'est cool – comme si de rien n'était. Ah si, ils arrivent sans faire exprès à embarquer un Sélénite, qui tombe lui aussi dans l'eau. Puis à la fin, tout le monde iĺ est content et c'est la fête au village.
Mille et un contes de fées
Méliès aime raconter des histoires rapides mais rocambolesques. En l'espace de dix minutes, il fait vivre à ses personnages une aventure qui n'arriva que soixante-sept ans plus tard – les créatures autochtones en moins. À l'instar de Jules Verne, c'est un visionnaire, ce jeune magicien de l'image français. Dans Le Raid Paris-Monte-Carlo, deux compères aventureux décident de parcourir la France dans une automobile de course et cela, en seulement deux heures ! Mais l'humour mélièsque n'est jamais très loin, puisque les chauffards créeront de nombreux accidents sur leur route et même sur la ligne d'arrivée – sans oublier le policier qu'il faudra regonfler à la pompe.
Dans un autre genre, nous avons Le Mélomane, considéré comme un des premiers films à effets spéciaux – le tout premier film de Méliès, Escamotage d'une dame au Théâtre Robert-Houdin tenant le juste titre. Dans ce film disons musical – un pianiste animait la projection avec son instrument –, Méliès dessine une musique sur une portée en jetant sa tête, qui repousse à chaque lancée, pour former les notes. Le procédé utilisé est celui l'arrêt de caméra, principe permettant de stopper le fonction de l'appareil et de modifier un détail sur l'image, pour qu'il apparaisse ou disparaisse comme par magie. Il crée ensuite une surimpression, qui consiste à rembobiner le film et filmer de nouveau dessus. Pour l'époque, et encore aujourd'hui, ce sont de vraies révolutions ! Il fallait que ce soit un magicien en ait l'idée, tout de même !
Méliès sur les écrans
Je ne parlerai pas ici des apparitions du cinéaste dans ses propres films, mais de son histoire lorsqu'elle est contée par d'autres. Ainsi, vous pouvez découvrir une part de sa vie dans Hugo Cabret de Martin Scorsese. MAIS ATTENTION ! Ce film, issu d'un livre pour enfants racontant l'histoire du jeune Hugo Cabret dans le Paris de 1930, a bien sûr embelli plusieurs faits de la vie du cinémagicien. Par exemple, Jeanne d'Alcy, la femme de Méliès dans le film, est montrée comme l'actrice jouant une des femmes rêvées par les astronautes du Voyage dans la Lune. Cependant, ils n'étaient pas encore ensemble à l'époque (1902), il s'agit en réalité d'une certaine Bluette Bernon. De plus, il n'était pas aussi grincheux (ceci est une remarque personnelle, même si je trouve que Ben Kingsley fait un fantastique Méliès) !
On retrouve aussi le personnage dans La Mécanique du Cœur de Mathias Malzieu, comme ami du héros.
Fantastique et fantasmagorique, conteur d'histoire et amuseur de tous, Georges Méliès est le génie qui créa le spectacle cinématographique et les effets spéciaux. Amis cinéphiles, parmi les tablettes de la connaissance est écrit : « Méliès tu connaîtras et chériras, Le Voyage dans la Lune tu verras et sa magie tu admireras. ».
Pour aller plus loin :
Les bouquins
- Georges Méliès l'enchanteur, une biographie très agréable à lire, écrite par la petite-fille du maître absolu, Madeleine Malthête-Méliès.
- La couleur retrouvée du Voyage dans la Lune, qui nous apprend de nombreuses choses sur la restauration de cette merveille.
Les films
- Autant de ses films que vous pourrez, ils sont assez courts en majorité et vraiment formidables.
- Mon coup de cœur : Le Voyage dans la Lune.
- Hugo Cabret, juste pour Ben Kingsley qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau.
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